« Aujourd’hui, (…) je suis convaincue (…) qu’il n’existe pas un peuple qui soit à l’abri d’un désastre moral collectif » Germaine Tillion, Ravensbrück, op. cit., p. 213.
"La connaissance et l’action, le vrai et le juste, se rendent des services réciproques. En même temps, les actions passées motivent celles accomplies dans le présent." Germaine Tillion
Germaine Tillon, une oeuvre entièrement vouée au partage avec l'autre. Au partage du savoir jusqu’au devoir du savoir qui peut déranger celui dont le voile s’est levé ! « le devoir de savoir , c’est aussi d’obliger les autres à savoir malgré eux"
Germaine Tillion , avait un respect absolu de l'autre, ethnologue de formation, ethnologue dans l'âme, ce qui la passionnait, c'était " de regarder en essayant de comprendre cet ordre caché dans tout ce qui vit ", pour elle, « Savoir aide à vivre" mais partager ce savoir aide"chacun à résister", résister à ce qui peut broyer ce "vivre ensemble" ...
Voici une phrase qui en dit long sur cette volonté qui était la sienne: " Ma formation d’ethnologue m’aide à attraper ce que j’ai devant moi, eh bien, pourquoi ne pas le partager ? Tout simplement, c’est ainsi : j’ai un petit privilège, c’est ce privilège-là ; j’en donne à tout le monde, tout le monde en prend un bout". Survivre, dans les camps fut, pour Germaine et ses compagnonnes de captivité "leur ultime sabotage. ».
Son engagement, sa résistance, à l'entreprise de mort des nazis, fut d'être, en plein coeur de l'enfer concentrationnaire, un "Ethnologue de l’abîme "… de surveiller, Germaine retourna la surveillance en devenant, celle, qui par méthode, analysait les bourreaux et leurs entreprises de destruction pour témoigner! Comme elle le dit si bien dans cette phrase « Si j'ai survécu, je le dois d'abord et à coup sûr au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à une coalition de l'amitié, car j'avais perdu le désir viscéral de vivre. »
Elle parvient ainsi apprendre quelque recul, à se placer à distance salutaire de ces faits monstrueux, en position d'ethnologues observatrices « objectives », déterminée à comprendre, à la recherche d'un sens possible à cette incroyable réalité.
Pour elle la connaissance d'action, le vrai et le juste, ce rang des services réciproques. En même temps, les actions passées motivent celles accomplies dans le présent.
Ce qui était important pour Germaine Tillon, c'était d"empêcher les massacres, qu'elle qu'en soit l'origine. Une violence, aussi légitime soient-elles (parce qu'au service d'une juste cause, ou parce que découlant des lois du pays) conduit inévitablement à une nouvelle violence en retour . Elle avait donc été, toute sa vie, une personne « engagée », mais son engagement était de nature bien particulière : jamais pour une cause politique , d'abord, pour la vérité, ensuite pour la justice, enfin pour la « pauvre chaire souffrante de l'humanité » : la compassion lui paraissait supérieure à la justice. En tous les cas Germaine Tillon était très différent de la figure habituelle de" l'intellectuel engagé" tout en étant une intellectuelle et une femme engagée.
Par sa disposition d’ouverture à l’Autre, Germaine fut toute sa vie une résistante, pour elle "VIVRE C'EST RESISTER"
Toute sa vie, porta la lutte sur les divers fronts de la dignité humaine. Dans les prisons françaises où elle a encouragé l’enseignement ; en Algérie où elle s’est opposée à la torture, à la condition misérable des femmes et à la « clochardisation » du peuple algérien par notamment la construction de centres sociaux formant aujourd’hui le reflet exemplaire de réinsertion sociale. Les auteurs décrivent une anthropologue engagée, en vertu de ses convictions profondes, sans dogmatisme. Ce qui distingue d'abord cette femme est son engagement égal dans l'action publique et dans le travail de connaissance. Du côté de l'action : Résistance, déportation, lutte contre la misère en Algérie, contre le terrorisme et la torture au moment de la guerre d'indépendance. Du côté de la connaissance, un regard d'historienne parmi les plus sagaces sur la résistance et sur la déportation entremêlé à l’approche anthropologique des plus novatrices donnant à regarder, à écouter et à comprendre avec une haute bienveillance.
«Des engagements forts: pour l'émancipation de la femme, pour le libre arbitre, la souveraineté, le droit de résister, ne pas avoir peur de dire non...
Des engagements qui ont une résonance encore aujourd'hui, ce qui prouve la modernité de son oeuvre».
Une oeuvre entièrement vouée au partage avec l'autre. Au partage du savoir.
Germaine Tilliondisait au sujet de son métier: «Si l'ethnologie, qui est affaire de patience, d'écoute, de courtoisie et de temps, peut encore servir à quelque chose, c'est à apprendre à vivre ensemble». «Elle avait un respect absolu de l'autre».
Le Verfügar aux Enfer de Germaine Tillion, Raconter l'horreur en s'en moquant, Une opérette à Ravensbrück
Cette opérette a été écrite par la détenue NN, nuit et brouillard, Germaine Tillion, entre octobre 1944 et janvier 1945, à Ravensbrück. Germaine Tillion refusa de travailler pour les nazis, devenant une Verfügbar, disponible pour toute corvée mais aussi et surtout une prisonnière rebelle, se cachant de block en block, au milieu des dormeuses (celles qui avaient travaillé de nuit). Protégée par ses compagnes de détention, écrivant dans une grande caisse, quand elle était envoyée au tri du pillage de l'Europe par les nazis, ayant mis en place dans son block, le cercle d'études, autre façon de résister ou de survivre, ultime forme du sabotage selon une de ses expressions, Germaine Tillion, ethnologue de métier et résistante de conviction, décédée le 19 avril 2008 à presque 101 ans, a écrit cette opérette bouffe pour ses compagnes car que reste-t-il comme arme de résistance, de survie, dans un univers de cette brutalité : le rire, le rire le plus caustique, le rire sur soi, le rire aussi sur les bourreaux mais l'essentiel est bien le regard porté sur cette nouvelle espèce, décrite par un naturaliste, charrié par le chœur, le Verfügbar aux enfers, titre inspiré d'Offenbach, Orphée aux enfers.
«L'humour noir et l'autodérision tendent aux détenues un miroir sans pitié, dont la description même force la réaction, entraîne le refus et représente une victoire de l'esprit sur le système de déshumanisation», analyse Claire Andrieu, dans la préface du Verfügbar.